Entrevue avec le créateur d’En mode drag
EN MODE DRAG – UN AN PLUS TARD
Un article signé par Lady Pamplemousse.
La consommation de la sous-culture drag ne se fait qu’en surface. L’appréciation n’est pas faite à la profondeur des efforts pour le produit fini. La sous-culture drag sort du milieu urbain pour aller en régions. Ce sont quelques révélations que Philippe Caouette, alias Ludivine Grey, a bien voulu vous faire pour le premier anniversaire du blogue « En mode drag ». Ce média est avant tout une plate-forme afin que les performances des drag-queens soit mises au même niveau que les autres arts de la scène et de démystifier le milieu.
Quand est la première fois où tu as entendu le mot drag-queen?
La première fois ça doit avoir été relatif à Mado [Lamotte]. Dans une autre vie, à ma première année d’université, je ne connaissais pas [le cabaret Mado] et la plupart des gens y étaient déjà allé. Puis, ce fut ma première incursion là-dedans, mais loin d’être la dernière…l’intérêt était loin d’être ce qu’il est [aujourd’hui]. Il a fallu quelques fois où j’ai dû y retourner avant qu’il y ait un buzz.
Quand, selon toi, a eu lieu ton déclic pour la vie des drag-queens?
Peut-être le jour où je me suis questionné sur ce que je voulais faire; c’est-à-dire d’arrêter de regarder le spectacle passivement et d’observer avec la volonté de vouloir développer un point de vue. Un spectateur typique assistera à l’événement comme à un autre, mais ça fait longtemps que j’ai passé le stade du simple plaisir. Dès qu’une personne met le pied sur la scène, je le connais un minimum. À chaque fois, spontanément, je le compare avec ce qu’il a déjà fait, je fais un classement dans ma tête : qu’est-ce qui a été meilleur? A-t-elle [la drag-queen] été étonnante? A-t-elle osée quelque chose de nouveau? A-t-elle été fidèle à elle-même? Un numéro vu trop souvent? Bref, ce que je peux retirer de chaque individu pour alimenter mon intérêt.
D’où t’es venu l’idée du blog [de passer] « En mode drag » ?
Awww! Ça c’est intéressant. [Rires]. En fait, l’année passée, j’ai entamé un certificat en journalisme. Puis, dans un de mes cours, on avait des travaux pratiques à faire dont un d’eux était de proposer un nouveau sujet de blog. En exécutant des projets dans d’autres cours, je m’étais aperçu que le milieu des drag-queens était un univers qui m’obsédait. À chaque fois que le sujet était libre, je tombais là-dessus. J’avais l’impression que c’était un thème plus ou moins exploré. Donc, c’était facile d’aller fouiller et d’avoir des choses intéressantes à dire et quand l’idée du blogue s’est proposé, j’ai repris l’idée du monde du drag. J’ai développé le projet puis ce que j’ai proposé à mon professeur est exactement ce qui figure sur mon blogue aujourd’hui. Je voulais surtout proposer des critiques parce que je trouve que le seul milieu où on parle de spectacles de drag c’est dans le milieu LGBT, à moins que ce ne soit présenté à l’extérieur du Village. Bref, tout ce qui se fait à l’intérieur avec des drags peut-être moins connus ou avec une notoriété qui n’est pas la même des plus importantes est invisible.
On entend parler de théâtre, de musique, d’humour, mais pas des spectacles de drag. Les seules fois où on en fait mention, c’est pour promouvoir ce qui s’en vient et une fois que c’est passé on n’en parle plus. La drag-queen en elle-même, ça fait peut être trois mois, six mois ou même une année qu’elle est sur son projet et peut-être même plus. Elle y investit argent, temps et énergie. Un résultat est attendu : est-ce que c’est à la hauteur de la drag? Est-ce qu’elle est allée plus loin? Est-ce qu’elle nous a surpris? Il y a une panoplie d’aspects à analyser et je trouvais primordial de les souligner. Les drag-queens ont chacune leur identité, leur style, leur couleur.
Quelle est la forme que prend ton blog?
Le but [d’En Mode Drag] c’était de les faire découvrir : même si elles sont connues dans le milieu, elles ne le sont pas nécessairement à l’extérieur. Mon but n’est pas d’encenser Mado, c’est de parler des autres. Je voulais une partie portrait où mettre en lumière tout ce qu’on ne connait pas du milieu de la drag; par exemple, en juin, il y aura un portrait sur Marla [Deer] qui est une idéatrice : elle a un million d’idées sur des projets de spectacles, mais quand on va au cabaret Mado, on ne se questionne pas sur ce qui a germé derrière. Les concepts naissent d’ où? Comment on fait? Il y a aussi la participation des gens qui ne sont pas nécessairement drag, mais qui travaillent de près : les designers, les chorégraphes, les DJs; des gens gravitant autour de la drag qui atténuerait la prestation de celle-ci par leur absence. Également, l’autre partie que je voulais absolument avoir était un dossier, soit une réalité X à tous les mois que j’allais décortiquer pour justement rendre ça plus accessible.
Quels sont les défis à la rédaction de tes articles jusqu’ici?
En fait, je publie une fois par mois. J’ai deux emplois et un deux me demandent du temps à l’extérieur des heures régulières. Il reste peu de temps pour le reste et donc la gestion de mon horaire a été un défi.
Autrement, quand je songe à un article, j’ai une idée qui germe dans mon esprit, mais les réalités du blogueur embarquent. On est confronté à différents individus : ceux qui ne veulent pas, ceux qui veulent et qui finalement ne donne plus de nouvelles et puis ceux qui veulent mais qui annulent. Tu en voulais cinq, mais tu en as trois – ce n’est pas toujours les trois à qui tu pensais au début de ton projet. En conséquence, l’article n’est peut-être pas aussi pertinent qu’il aurait pu l’être – d’où l’idée de publier éventuellement un livre et de vraiment prendre le temps d’aller chercher les intervenants que j’aurais voulu.
C’est arrivé que j’aie publié un article qui ne fût pas à son potentiel maximum, notamment sur l’ouverture des femmes dans le milieu de la drag. Il aurait pu y avoir d’autres personnes, mais je suis restreint et j’ai atteint une phase où je ne peux pas toujours interviewer les mêmes personnes.
En définitive, ça prouve que j’ai une démarche : je vais chercher des gens différents ce qui m’a fait rencontrer une cinquantaine de personnes en un an. C’est quand même une fierté, mais dans certains cas, j’aurais dû opter moins sur la variété et revenir vers des gens qui auraient pu collaborer de nouveau.
Comment décrirais-tu la scène drag à Montréal? [Rires] J’ai l’impression [moment d’hésitation] …je me rends compte [que la scène] est beaucoup plus vaste qu’on pourrait le penser. Je dirais qu’il y a celle du Village qui a établi un certain standard sur ce que les gens veulent voir. À l’opposé, tout ce qui est un peu plus en marge, par exemple ce qu’Heaven Genderfuck a fait à ma levée de fonds, c’est reléguer dans le underground. Il y a très peu de place pour ça dans le Village. Tout cet univers est exploré en marge et dans des scènes beaucoup moins visitées.
En général, je dirais que c’est un milieu avec peu de publicité. En soi, la drag est un métier à risque financier : aucune soirée n’est garantie d’un succès parce que c’est très restreint et la publicité est basée sur le milieu lui-même. Donc, quand on parle de scène underground, c’est encore pire. Ils savent qu’il y a un marché qui va y aller et qui sera très réceptif à ce qu’il ira voir. En contrepartie, il faut que tu sois au courant et que tu te déplaces parce que tu sais ce que tu vas voir, mais ce ne sont pas les soirées les plus lucratives.
Comme n’importe quel autre artiste, tu as besoin d’avoir une certaine notoriété parce que ce n’est pas toujours l’établissement qui va te permettre d’avoir le public dont tu as besoin ou la réputation nécessaire. Donc, si tu veux faire ton nom uniquement dans l’underground, c’est difficile.
Tu te concentres beaucoup sur la sous-culture drag à Montréal, comptais-tu voyager pour voir les sous-cultures drags ailleurs? Si oui, où?
Honnêtement, je pense qu’avant même de voyager à l’extérieur du pays, j’irais à l’extérieur du Québec. Déjà là, il y a une culture de la drag différente de celle qu’on a ici. Vancouver, Toronto et Ottawa ont une réalité autre que celle de Montréal. Peut-être qu’éventuellement je ferai un portrait pour voir les milieux à l’intérieur même du pays et ensuite à l’extérieur. Dernièrement, je sais que Rita Baga est allée faire un spectacle en Inde et ce serait intéressant d’avoir son point de vue sur l’expérience qu’elle a vécue là-bas. C’est un pays où tu es à la fois encensé par certains tandis que tu seras attendu avec des pierres à la sortie [du bar] par d’autres.
Selon toi, quel est l’avenir des drags?
En fait, je ne pense pas que c’est un milieu qui va tomber, mais qui est au contraire en effervescence et qui s’adapte bien au changement. Les drags dépendent d’une communauté qui n’est pas nécessairement derrière elles avec des lieux qui ferment ou qui cessent leurs spectacles sans préavis. C’est important d’avoir de l’ouverture, j’ai l’impression que c’est de plus en plus le cas ailleurs qu’à Montréal. Beaucoup de drags font des shows à Saint-Jérôme, à Trois-Rivières, à Sherbrooke, à Rimouski et à Rouyn-Noranda. Ce ne sont pas des lieux où on s’attendrait à en voir car, ce n’est pas tout le temps dans des bars à vocation LGBT. Je pense qu’il y a du potentiel dans les régions, mais il ne faut pas non plus mettre les drag-queens en dehors des lieux traditionnels pour qu’elles se retrouvent à percer ailleurs sans avoir leur propre milieu dans des institutions qui les ont vus naître.
À ton humble avis, quel est le top 3 des articles que tu as rédigé jusqu’ici?
Ce n’est pas le genre de décompte que je fais, mais j’ai beaucoup aimé l’expérience du montage d’un premier spectacle solo de Darleen qui témoigne de l’investissement qu’on peut y faire. Elle me fit des révélations à micro fermé qui ne figurent pas dans l’article, mais qui m’informa sur des décisions audacieuses qui furent prises pour que son projet voit le jour. Aussi, il y eut la découverte du coiffeur et perruquier Joshua Bélair. Enfin, je dois dire que mon entrevue avec l’artiste burlesque Rosie Bourgeoisie m’a ouvert la voie vers le milieu underground.
À quoi doivent s’attendre tes lecteurs et lectrices pour les mois à suivre?
Dans les mois à venir, j’aimerais idéalement me lancer sur Youtube. À quoi les gens pourraient s’attendre? J’essaie d’aller chercher d’autres drags qui n’ont pas encore participé et d’avoir des sujets qui leur conviennent aussi. De plus, je veux faire une meilleure place à d’autres individus du milieu underground. Je sais que j’ai fait une incursion par la vision de deux drags de la relève, mais peut être poursuivre et faire une brèche sur le milieu burlesque. Je suis d’ailleurs dans l’attente d’une collaboration avec Anaconda Lasabrossa. Peut-être même proposer à quelqu’un du milieu burlesque d’avoir une chronique une fois par mois pour en parler.
Lors de ta soirée de lancement en 2015 et de la soirée qui eut lieu le 8 juin 2016, tu as endossé l’identité de Ludivine Grey. Pourquoi avoir choisi ce nom et que représente-elle?
Le nom Ludivine était sur ma liste de noms potentiels pour un enfant. Je me suis dit que Ludivine évoque quelque chose de plus, mais je ne veux pas le dire à l’anglaise car ça vient avec une pression qui inclut le nom d’un monument drag (Divine). Grey c’est pour faire référence à un aspect que je désire apporter au personnage : à chaque apparition, je veux qu’elle ait les cheveux gris. Peu importe comment tu l’écris, Grey fait référence à plusieurs éléments de la culture en général : Portrait de Dorian Gray, Fifty Shades of Grey –qu’on aime ou non, à Grey’s anatomy, etc. …Il y a le moyen d’aller s’amuser dans ces univers-là.
Ce qu’elle représente pour moi? En fait, j’ai déjà vu une entrevue avec Célinda sur Youtube qui disait qu’on lui avait toujours reprocher dans la vie d’être féminin dans sa vie de tous les jours. Quand elle a développé le personnage de Célinda, ça lui a permis de transposer une partie de sa personnalité et de renouer avec sa masculinité. Je ne me considère pas comme quelqu’un d’over-féminin, c’est loin d’être ça le point. En fait, c’est que j’ai un côté bitch qui dérange parfois certaines personnes et qui projettent une personne que je ne suis pas vraiment. Peut-être une carapace s’est formée avec les années, mais [Ludivine] permettrait de transposer ça et de l’assumer amplement sans avoir de répercussions et de me libérer de cet aspect-là.
En guise de conclusion, quoi d’autre te rattache à la vie drag?
Les nouvelles personnes qui me supportent dans ce que je fais : Rosie Bourgeoisie, Heaven Genderfuck, Anaconda Lasabrossa ou Peach. Aussi, il y a des gens à qui je parlais beaucoup avant qui m’encourage comme Anastasia, Pheonix et Erica. C’est pour ça que depuis deux ans, ce sont ces deux dernières qui sont à mes levées de fonds parce que je les ai en haute estime. Elles seront à mes levées de fonds tant qu’elles le voudront.
Quelle est ta démarche? J’y pense un mois ou deux avant . Le but c’est vraiment que le milieu de la drag soit considéré au même titre que n’importe quel autre art de la scène et de démystifier le milieu sous différents aspects avec des intervennants de ce milieu
bonjour, pour une émission de télévision, je cherche une drag queen octogénaire, encore active même si c’est de temps en temps, merci!
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Il y a la drag-queen Michelle Dubarry de Toronto.
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