Pierre Samson est le coscénariste aux côtés de Richard Blaimert (Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Nouvelle adresse) de la série Cover girl diffusée à l’antenne de Radio-Canada de 2004 à 2005. La série mettait en vedette René-Richard Cyr, Frédéric Pierre et Vincent Bolduc dans les rôles principaux. L’action se déroulait dans un cabaret autour de l’univers des drag-queens tel que vu par l’auteur principal, Pierre Samson. La série avait beaucoup fait réagir la communauté drag à Montréal face à la représentation des drag-queens dans la série. J’ai donc voulu décortiquer certaines choses avec l’auteur. Après avoir communiqué avec Richard Blaimert, il m’a gentiment redirigé vers son ami et coscénariste Pierre Samson pour développer la question avec moi. Pierre Samson est principalement connu comme auteur. Son plus récent livre s’intitule L’oeil de cuivre paru en 2014. Voici le compte-rendu de notre entretient.
1. Quel a été le point de départ de cette série?
Dans ma carrière réelle, je suis romancier. J’ai 7 romans à mon actif. Comme ça ne paie pas beaucoup, je me suis tenu près du monde de la télévision. J’ai entre autres écrit des blagues pour Jean-Pierre Coallier et conçu des questions pour le quiz Jeopardy. Un jour, c’est mon meilleur ami, Richard Blaimert, qui m’a suggéré d’écrire une série pour la télévision. C’est à partir de là que je me suis mis à penser à ce que je pourrais développer. L’idée de parler des drag-queens m’est venue. Richard m’a alors présenté à son équipe de production chez Sphère média plus avec qui il collaborait déjà depuis Le monde de Charlotte. La production ne s’est pas montrée aussi enthousiaste à l’idée jusqu’à ce que le directeur de la programmation de Radio-Canada de l’époque, Mario Clément, soit nommé. Ce dernier avait une vision différente pour la station et visait des émissions axées sur la diversité, qui s’adressent à des communautés. Ayant entendu ça, Richard a relancé son producteur. Le projet s’est alors rendu jusqu’à M. Clément. Il a tout de suite adopté l’idée. Le projet a alors démarré des chapeaux de roues. Richard continuait de travailler sur son projet déjà en cours, Un monde à part, tout en me coachant, relire ce que j’écrivais.
2. Cherchiez-vous à porter quelque chose à travers la série?
Ce que je cherchais à faire avec la série était de montrer le milieu des drag-queens comme un microcosme de la société. En fait, qu’importe de quel milieu on est issu, on a des choix à faire. C’était une façon de montrer pour moi que les drag-queens peuvent être des exemples possibles d’avancement, qu’il ne faut pas se limiter aux apparence. Que ce milieu est un exemple incroyable de solidarité. Je me suis toujours insurgé contre les gens qui ont l’esprit trop simple, qui n’ont pas de sophistication intellectuelle et qui transfèrent leur inconfort vers des communautés qu’ils ne comprennent pas dont les drag-queens. La plupart des drag-queens qui font le métier ont passé par une série d’épreuves qui a approfondi qui elles sont. Il faut arrêter de se freiner aux première impressions.
3. Sur quel modèle de drag-queen vous êtes-vous basé pour construire vos personnages?
Mes personnages sont hybrides. Ils ne sont pas nécessairement basé sur un modèle drag-queen tel qu’on les voit. Ils sont le pastiche de gens de ma famille, de gens du quartier dans lequel j’ai grandi qui avaient beaucoup de caractère, etc. Je me suis toujours dit que les drag-queens et les gens « ordinaires » sont la même chose. C’est seulement qu’on exagère les traits. Ce n’était pas un hommage que je rendais à personne.
4. Croyez-vous que les personnages que vous mettez en scène qui sont drag-queens, considérant qu’ils le sont en permanence dans la série, n’auraient pas altérer la perception que le grand public a de ceux qui pratique réellement le métier?
Je reviens à mon idée du début selon laquelle on serait tous des drag-queens en quelque part. Je sais qu’à l’époque ça avait irrité Mado car elle trouvait que ça encourageait les préjugés, mais dès que les gens veulent croire en quelque chose, tu as beau vouloir présenter autre chose que leur idée première est difficile à défaire. Mon but ce n’était pas de faire de la pédagogie avec le public. Je voulais surtout illustrer que leur exubérance fait parti d’eux et qu’elle ne se traduit pas seulement par un costume. Je voulais aussi que ce soit toujours coloré. Que peu importe ce qu’elles vivaient, même si c’était plus sombre, qu’il y ait de la gaieté.
5. Est-ce que vous avez l’impression que si l’émission était diffusé aujourd’hui, l’impact serait meilleur?
D’abord, Radio-Canada a pris une décision assez audacieuse de diffuser l’émission le jeudi soir à 19h30. Le producteur éprouvait un malaise car, à cette heure-là en télévision, on ne peut pas tout montrer. Il y a encore des enfants qui sont à l’écoute. On a été confronté à la dure réalité que des segments filmés ne se retrouvaient pas à l’écran. Choisir cette case horaire était une façon de censurer en outrepassant le choix du directeur de la programmation de mettre en ondes cette série. On s’entend qu’à l’origine, le sujet était beaucoup plus costaud que ce qu’on a pu voir. À leur défense, en choisissant cette case horaire, malgré ce qui a été avancé, ils espéraient ouvrir les horizons à un plus large public que si l’émission avait été diffusé plus tard en soirée. Au final, face à la vision que nous en avions, le produit diffusé était une version diluée. Malgré la présence de séries plus importantes telles que 19-2, Les Bougon et autres de cet acabit qui ont ouvert la voix, on pourrait certainement aller plus loin aujourd’hui, mais je ne suis pas convaincu que les choses seraient nécessairement différentes. La série aurait sans doute davantage sa place sur une chaîne spécialisée.