Outre certains médias spécialisés sur les activités LGBTQ+, rares sont ceux qui ont mis de l’avant la communauté des drags au Québec si ce n’est que lors de Fierté ou d’événements de grande envergure tels que le spectacle Mado’s got talent lors du festival Juste pour rire par exemple. Heureusement, l’année 2017 aura été particulièrement riche et aura permis de faire rayonner les drags au-delà des frontières du village gai de Montréal. La docu-réalité Ils de jours, elle de nuit relayé sur ICI ARTV, la participation de Barbada à l’Heure du conte à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec, les 30 ans de carrière de Mado Lamotte et la première édition du Fierté Canada Montréal auront été tant de circonstances pour attirer le regard d’autres médias. Toutefois, si l’on fait abstraction de tout ce qui été énoncé précédemment, la représentativité des drags sur internet demeure médiocre. Comme tel, il n’existe que très peu d’articles consacrés aux drags. J’ai voulu approfondir cette question avec Michael David Miller, bibliothécaire en littérature française et études LGBTQ+ à la bibliothèque de l’Université McGill ainsi que responsable des soirées contributives à Wikipédia, un événement mensuel organisé à la Bibliothèque à livres ouverts du centre communautaire LGBTQ+ de Montréal.
Afin d’illustrer le propos, mettons-nous dans la peau d’une personne, étrangère à l’univers des drags, qui par un soir d’été, décide de prendre une marche dans le village. Cette personne aboutit par hasard au bar le Cocktail, attirée par la splendeur de sa terrasse. Le soir venu, elle remarque qu’il se trame quelque chose à l’intérieur. Elle entre par curiosité puis tombe sur un spectacle de drag-queens. Happée par ce qu’elle voit, la personne retient le nom de l’une des artistes. Une fois à la maison, le personne fait une recherche rapide sur internet afin d’en apprendre davantage sur la dite drag-queen. Constat: elle ne trouve rien si ce n’est que la page Facebook et le compte Instagram de cette dernière.
Michael a décidé de mettre sur pied les soirées contributives à Wikipédia après s’être aperçu de l’absence d’informations sur les pages francophones de Wikipédia au sujet d’événements, de personnalités, de lieux et de faits historiques relatifs à la communauté LGBTQ+. Son initiative est née à la suite d’une activité similaire dans le cadre de Wikimania, un événement lors duquel une douzaine de personnes ont contribué à la rédaction d’un article sur les 30 ans de carrière de Mado. Après autant d’année dans le métier, un cabaret à son nom et une statut de cire à son effigie au Musée Grévin, il n’y avait encore rien d’exhaustif sur Wikipédia pour témoigner de celle que l’on surnomme la « reine des nuits de Montréal ». Suite à cela, il s’est donné pour mandat d’enrichir l’offre grâce à la collaboration des gens du public qui ont le même soucis face à notre mémoire collective. Cette réalité est d’autant plus vraie en ce qui concerne les drag-queens lorsqu’on sait que d’autres grands noms du monde de la nuit du village gai de Montréal tels que Madame Simone, Tante Gaby ou encore Sheena Hershey n’ont guère de page. Il devient donc difficile pour notre communauté de porter un regard lucide sur l’avenir si une part de notre passé ne figure pas là où l’information est le plus accessible.
Michael soulève toutefois la problématique qu’impose Wikipédia avec l’obligation de citer des sources secondaires. Comme on parle très peu des drag-queens dans nos médias, cela amplifie le défi quand vient le temps de créer une page. Grâce aux événements énumérés en introduction survenus en 2017 qui ont grandement contribués à la visibilité des drag-queens, il sera possible d’alimenter certaines pages, notamment pour Rita Baga et Barbada, qui ont joui d’une couverture médiatique suffisante au cours de la dernière année, afin de rédiger des articles sur elles. Michael soulève le fait que, contrairement aux drag-queens du reste du Canada, nos drag-queens locales ont la chance d’avoir une culture qui leur est propre puisqu’elles ne sont pas en compétition avec les drag-queens de RuPaul’s drag race. L’émission a certainement été un tremplin pour le milieu, il y aura sans doute toujours des comparaisons, mais il demeura toujours un avantage pour nos drags d’ici.
On dénonce souvent les deux solitudes qui subsistent à Montréal. Malheureusement, elles sont aussi présentes sur Wikipédia. En effet, les pages anglophones orientées vers les réalités LGBTQ+ sont plus nourries que celles francophones. Il faut arriver à un certain équilibre en s’assurant d’une traduction systématique à chaque nouvelle parution, qu’elle soit dans la langue de Molière ou de Shakespeare. En s’y mettant tous, on arrivera sans doute à changer la mauvaise perception que les gens se font de notre communauté. De plus, si on continue à soutenir nos médias locaux LGBTQ+, si on met en lumière ce qui est plus dans l’ombre, si on encourage notre communauté locale et qu’on accepte le fait que nous sommes tous des joueurs de notre communauté, nous arriverons à notre objectif. L’initiative de Michael de transiger cette initiative par Wikipédia fait écho bien plus largement. Ultimement, en ce qui touche les drag-queens, c’est d’arriver à ce qu’on les reconnaisse au-delà des clichés auxquels elles sont prisonnières malgré elles mais qui, grâce à des initiatives spontanées ici et là, tendent à changer.
Si vous avez envie de vous impliquer auprès des soirées contributives à Wikipédia, joignez-vous à Michael et les autres lors des deux prochaines séances qui se tiendront les mercredi 11 avril et 23 mai à la Bibliothèque à livres ouverts au centre communautaire LGBTQ+ de Montréal. N’hésitez pas à soulever la problématique de la représentativité de notre communauté sur internet et de partager cet article.