Le terme alter ego fait écho principalement, dans la culture populaire, à l’univers des super-héros où les Bruce Wayne, Clark Kent et autres du même acabit revêtissent leurs costumes pour sauver le monde. Toutefois, dans ce cas-ci, tant le personnage et l’alter ego sont une pure création de l’imaginaire d’un individu. Chez les drags, cet alter ego prend naissance chez la personne qui revêt les traits d’un personnage qu’elle a elle-même développée pour le transposer sur scène, comme une extension de soi. En fait, le terme alter ego se définit comme un « autre moi », ouvrant la voie pour un invidu à mener une vie parallèle à la sienne sous les traits de ce personnage. Pour approfondir la réflexion, je me suis entretenu avec Vee Valentine, une jeune drag-queen issue de la récente coorte de Drag-moi, Phoenix Vyxen, dont le perosnnage est particulièrement défini et qui performe dans le milieu depuis plus d’une décennie, ainsi que Wendy Warhol qui, depuis ses débuts, a revu à plusieurs reprises l’identité de son alter ego. Chacun à leur manière avait un point de vue intéressant à apporter sur la question de l’alter ego. Il faut mentionner qu’il n’y a pas de réponse définitive. Ce qui sera soulevé ultérieurement relève d’un point de vue personnel.
Au moment de débuter sa carrière de drag, Phoenix n’était pas étrangère au milieu. Pour elle, le motif principal était surtout une manière d’allier ses intérêts orientés vers la scène. Elle avait déjà un parcours en danse et en art dramatique qu’elle voulait continuer d’assouvir. L’opportunité de faire de la scène en tant que drag-queen s’est présentée à elle. C’est ainsi qu’elle donna naissance à son alter ego. Il faut avouer que le personnage de Phoenix est considéré comme étant plus en marge que ce qui fait habituellement. C’était pour elle une manière d’extérioriser ses « démons intérieurs». Même si dans sa vie de tous les jours, elle n’est pas une personne dite trash, son expression scénique l’est.
La carrière de Wendy Warhol s’était d’abord amorcée comme bio-queen. C’était une époque de sa vie où elle ne s’assumait pas comme tel. C’est alors qu’est né Justin Tinderfake, un drag-king, avec qui elle a fait un bout de chemin. C’est sous les traits de ce personnage qu’elle a brisé de nombreuses barrières, notamment comme seul drag-king à s’être rendu en semi-finale de MX Fierté Canada et premier drag-king salarié du Cabaret Mado. Or, il s’agissait d’un retour d’ascenseur pour Wendy qui, à ce moment, toujours avec l’identité de Justin, devenu Insanity entre temps, ne ressentait plus la motivation qui l’animait à ses débuts. Elle se sentait à nouveau imposteur, mais cette fois-ci, envers elle-même et ce qu’elle avait véritablement envie d’explorer d’un point de vue artistique.
Contrairement à ses premières identités, lorsque celle de Wendy est née, le concept était clair et les contours du personnage était déjà dessinés. Wendy est devenu l’expression bien personnelle de celle qui l’incarne sur scène des influences colorées et éclatées du Pop art. Wendy se considère comme une personne créative dont les occupations dans la vie personnelle ne rejoignent pas son côté créatif. Wendy s’est alors révélé comme porte d’entrée dans l’expression de sa créativité. Pour Wendy, la création est quelque chose d’important qu’il ne faut surtout pas refouler. Depuis l’acceptation de cette identité, les projets ne cessent de se succéder, les uns plus intéressants que les autres. Cela provient de la confiance que Wendy confère à celle qui l’incarne.Il y a entre l’être humain et le personnage un échange mutuel qui sert tant l’un dans la vie de tous les jours que l’autre dans ses projets, sa création et ses performances. Wendy qualifie cela comme un « échappatoire avec un contrôle », c’est-à-dire une drogue qui nous enivre pour sur laquelle on arrive à maintenir le dessus.
Pour sa part, Vee Valentine aborde la drag comme « une manière de vivre les réalités physiques et émotionnelles» qui ne lui sont pas accessibles socialement lorsque perçu comme un homme. Sa réflexion va au-delà de l’émancipation artistique. Pour elle, « les dynamiques interpersonnelles de tous les jours sont fortement imprégnées par la sexualité », c’est-à-dire que lorsque la nôtre est située à l’extérieur de la norme, « il est facile de se retrouver dans une position où l’on ne peut s’exprimer de manière adéquate ». Il va de soi que dans un tel contexte, « la métamorphose physique et le jeu de perception qui en découle ouvrent une porte » où tout l’aspect lié aux drag-queens entre en ligne de compte puisqu’il célèbre les attributs qui chez l’homme efféminé causent malaise.
C’est ayant en tête l’ensemble de ce qui fut élaboré précédemment que Vee Valentine a pris part à Drag-moi. Le concours lui a fait prendre conscience de l’importance des connexions organiques à la base du contenu artistique. Pour elle, l’identité et la santé mentale à travers les œuvres artistiques sont primordiales tant sur scène que dans leur représentations sur les les médias sociaux. «Le fait de vivre à l’extérieur de la norme sociale nous pousse souvent à remettre en question notre genre, notre sexualité, et notre raison d’être», c’est ainsi pour elle qu’ en tant que communauté LGBTQ+, « il est de notre devoir de nous supporter les uns les autres afin que chacun ait l’opportunité d’exprimer ses anxiétés et de retrouver sa personne à travers les caractéristiques qu’elle ou il partage avec les autres ». Dans ce contexte, la notion de l’alter ego prend une proportion plus large que la simple extension de soi. L’alter ego relèverait davantage de quelque chose de collectif pour lequel tous et chacun aurait un rôle à jouer.
Comme il le fut mentionné précédemment, l’alter ego est encore une notion incomplète. Chacun en fait l’interprétation qu’il veut puisque le personnage qui naît ne soi n’a d’autre maître que nous-même. Il ne répond qu’au profil que nous lui dessinons. Toutefois, s’il y a une chose de certaine est que ces personnages méritent la notoriété qu’ils n’ont malheureusement pas toujours. L’alter ego est l’élément qui mène sans doute le drag au-delà de la simple expression de l’art puisque ce personnage qui est incarné ne disparaîtra jamais, il est l’extension de nous-même.