Article signé par Jérémi Gendron
Hier avait lieu le spectacle Queen’s Night au prestigieux Palais Montcalm, en Haute-Ville de Québec. L’événement – entièrement produit par Nicky G, le Palais Montcalm et Karl Emmanuel Picard de District 7 Productions – réunissait les drag queens Nicky G, IGAnne, Lady Boom Boom, Narcissa et Gabry Elle. Les deux représentations affichaient « Complet » ; comme quoi le public attendait impatiemment de laisser un peu de côté les nombreux shows virtuels et enfin retrouver les performances live.
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Pour Nicky G, instigatrice des soirées Queen’s Night en collaboration avec L’Anti bar & Spectacles, c’était son premier spectacle live depuis le confinement. N’ayant participé qu’à un seul show virtuel pendant la quarantaine, Nicky G a avoué avoir pris ce temps pour se reposer et prendre soin du garçon derrière le personnage. Les drag-queens de Queen’s Night sont unanimes à ce sujet, mais IGAnne nous a précisé que « la pause obligée a quand même fait du bien » ! Elle ajoute : « Le métier de drag peut être difficile sur le corps. Ça fait du bien de pouvoir se coucher plus tôt, avoir une barbe » !
Malgré le plaisir de performer live, IGAnne nous partage tout de même que la dynamique est différente avec les mesures de santé publique. « On ne peut pas descendre dans la salle, aller voir les gens, leur parler, prendre des photos, etc. Ça fait une expérience plus « froide et distante », mais tout le monde est dans le même bateau ». Par contre, elle nous dit qu’il est toujours agréable de performer dans des lieux qui ne sont pas des bars, comme c’est le cas au Palais Montcalm. Les heures de représentations (19 h et 21 h dans le cas de Queen’s Night) permettent aussi de belles rencontres. Pour IGAnne, « La foule est différente, on y voit des gens qui n’iraient pas nécessairement se mettre les pieds dans un bar gay mais qui, parce que le lieu est plus neutre, sont présents et très heureux de l’être ».
Pour ma part, j’ai choisi d’assister à la deuxième représentation. Important de mentionner que Gabry Elle brillait par son absence à cette deuxième représentation, Le Drague Cabaret Club ayant (stratégiquement ?) placé sa soirée Diva Nation au même moment que le Queen’s Night, nous privant ainsi de sa présence. Mais c’est avec toutes les précautions nécessaires que le Palais Montcalm a accueilli un public fébrile, composé de visages connus de la communauté et d’autres moins connus pour qui il s’agissait vraisemblablement d’une initiation à l’art du drag. Une soirée que nous ne sommes pas prêts d’oublier !
C’est évidemment l’auto-proclamée « Reine de la Basse-Ville » Nicky G qui a ouvert son spectacle sur un mix fait pour l’occasion. La variété du mix nous a permis, dès le début, de voir ses multiples talents et sa polyvalence en termes de répertoire musical (rap, pop et musique latine, entre autres). Touche d’humour bien appréciée, Nicky avait aussi pré-enregistré sa propre voix parlée pour afin de faire la transition d’une chanson à l’autre, prétextant avec doigté que la chanson choisie n’était pas digne d’une « ouverture de feu » ! C’est finalement sur Boss Bitch de Doja Cat que Nicky G a parti le bal. Les passages de voix pré-enregistrée manquaient de précision au niveau de la synchronisation, mais cela n’a nullement entachée la grande qualité du reste de la performance et du plaisir palpable du public.
IGAnne est apparue sur l’intemporel thème d’Also Sprach Zarathustra de Richard Strauss et cette introduction a laissé place à E.T. de Katy Perry. Fidèle à son habitude, IGAnne nous a servi un numéro au lip sync impeccable et à l’interprétation polie, trahissant certainement son expérience et son bagage de scène au théâtre. Sa courte intervention au micro nous a ensuite tous séduit, et l’interaction de la drag-queen avec le public s’est avérée rafraîchissante après une dizaine de shows virtuels qui ne permettaient pas cette proximité.
Les fans de la légendaire Madonna en ont eu pour leur argent. Quand Lady Boom Boom est arrivée sur scène, nous nous sommes tous retrouvés dans le vidéo clip de Hung Up ; nous n’aurions pu faire mieux en termes d’imitation, tout était on point, tant au niveau du maquillage, qu’au costume, en passant par la gestuelle et le lip sync. Les rares personnes qui ne connaissaient pas Lady Boom Boom sont décidément devenues instantanément des fans. La courte animation de la drag queen lui a attiré les nombreux rires de la salle et nous avons rapidement oublié l’atmosphère quasi bourgeois du Palais Montcalm. L’humour cru de Boom Boom nous a immédiatement ramené aux soirées des bars LGBTQ+ de Québec et de Montréal qui nous avaient tant manqué, là où il n’y a à peu près aucune censure. Le public a apprécié, et c’est à peine si nous n’avons pas levé les « shots » en signe d’approbation.
Je dois vous avouer que Narcissa a été une redécouverte pour moi, hier soir. C’est sur Break My Heart qu’elle a fait son entrée sur scène. L’énergie contagieuse de la drag queen lui a mérité les applaudissements plus d’une fois. Le super habit de Narcissa n’est pas passé inaperçu ; surtout que le rose lui allait à merveille (encore plus que son noir habituel ?). Est-ce la pochette du dernier album de Dua Lipa qui a inspiré Narcissa à porter le rose ? Peu importe, comme on dit dans le milieu : « it was a TOOT ! ». C’était la première fois que je voyais Narcissa en mode « animation », après sa performance, et j’ai été ravi de la découvrir ! Bien qu’essoufflée – il y avait de quoi l’être après avoir tant donné – ce fut un plaisir de la voir interagir avec son public de Québec, là où elle performe régulièrement en plus de Trois-Rivières, entre autres.
S’en est suivi du retour de Nicky G sur une chanson de l’incontournable Billie Eilish, Bad Guy. L’univers particulier de la chanson s’est aussi transposé au look obscur arboré par l’hôtesse de la soirée. Le public mystifié est resté particulièrement silencieux jusqu’à la coda, moment où Nicky G nous a offert un moment s’apparentant à une scène culte du film l’The exorcist, ce qui lui a valu de forts applaudissements et la surprise du public. L’interprétation très personnelle de cette chanson par Nicky G ne peut pas me faire oublier celle de Carmen Sutra (performance quasi dérangeante, tellement Sutra a misé sur l’étrangeté véhiculée par la musique), mais il va sans dire que ce sont deux performances qui se valent, et j’étais positivement choqué de voir une si bonne interprétation sur une chanson autant interprétée partout dans les shows de drags. Props !
IGAnne nous a offert un nouveau numéro, cette fois sur un mix de la comédie musicale Grease. Son entrée en manteau de plumes sur la chanson Hopelessly Devoted To You nous a tous conquis, mais la parfaite transition sur You’re The One That I Want lui a valu les chants du public. Impossible d’oublier les petits reveals ici et-là, et bien sûr, les plumes qui virevoltaient partout ! Le choix de lip syncer sur les back vocals lors du refrain s’est par contre drôlement traduit, en réalité. C’est souvent un risque qui ne paie pas, car avec les systèmes de son des salles de spectacles et des bars, le focus est mis sur la base, et cela étouffe les voix qui sont en arrière-plan dans le montage audio. C’est probablement le seul bémol à cette performance sur laquelle je me suis moi-même surpris à chantonner et taper des mains. Oui oui, même les back vocals !
Si le feu n’était pas déjà pris dans la salle du Palais Montcalm, Lady Boom Boom s’en est assuré avec sa performance enflammée de We R Who We R de Ke$ha. La parfaite synchronisation du lip sync est à souligner, mais ce sont les surprenants grands écarts et autres sauts en tous genres qui en ont mis plein la vue. Si le public avait eu à trancher, l’unanimité aurait crié : « Shantay, you stay ! ».
Si Narcissa venait chercher l’amour du public, elle l’a très certainement reçu sur son lip sync de Came Here For Love de Sigala. Une autre performance haute en énergie attendait le public. La synchronisation labiale exagérée souvent utilisée pour mettre l’accent sur le mouvement des lèvres à un auditoire éloigné s’est avéré quasi humoristique, voire « campy ». Je ne suis pas un grand amateur de cette pratique, mais au bout du compte, cela a permis à Narcissa de faire rire le public avec toutes sortes de mimiques. La performance était tout autant dans la gestuelle du corps que dans la subtilité de celle du visage. C’est, entre autres, pour cela que j’avoue avoir redécouvert Narcissa. Je ne lui connaissais pas encore ce côté humoristique, et ça a plu à tous si on se fie aux applaudissements qu’elle a reçu.
Nicky G et IGAnne nous ont ensuite offert un duo sur Let’s Have A Kiki de Scissor Sisters, toutes deux en tenues à l’imprimé léopard. Pour ma part, c’était un moment longtemps attendu, car je connais leur symbiose quand il est question de performer ensemble ou de s’allier pour des projets divers, devant comme derrière la caméra. Ce fut remarquable de voir leur travail. L’expression toujours raffinée d’IGAnne s’est mariée à merveille au lip sync serré et à l’attitude « fierce » de Nicky G. On ne pouvait espérer meilleur répertoire pour les faire briller. À souligner : la chorégraphie grandement inspirée du vidéoclip original de la chanson est venue ajouter à la performance.
Le spectacle s’est conclu sur un mix de Jennifer Lopez. Bien que Nicky G nous avait prévenu, les transitions entre chacune des chansons étaient assez subites. Cela s’est vite oublié en voyant le plaisir qu’avaient chacune des drag-queens à performer. L’ambiance était à l’amusement, et le public s’y est joint volontiers. En bonne « Reine de la Basse-Ville », Nicky G portait, pour ce dernier numéro, une couronne toute indiquée que nous lui aurions de toute façon décerné pour avoir organisé un aussi bon spectacle. Un spectacle tant attendu depuis le confinement. Un spectacle qui fait d’elle non plus maintenant une reine auto-proclamée, mais une reine, tout simplement. On peut même dire qu’elle est allée jusqu’à conquérir la Haute-Ville !
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