Les raisons qui poussent une personne à vouloir joindre l’industrie des drag-queens sont diverses. Les raisons qui motivent ces mêmes personnes à mettre un terme à leur carrière le sont toutes autant. Cinq anciennes drag-queens ont acceptées de revenir avec moi sur leur carrière afin de mieux comprendre ce qui les a poussées à se retirer. Grâce à la généreuse collaboration de Pascal Guilbault, Steve Poitras (alias Velma Velour), François Dallaire (alias Frankie Knight), Brian Charbonneau (alias Sheena Hershey) et Jean-Marc St-Yves (alias miss Jean-Marc), vous aurez aussi droit, à travers leur parcours, à un survol de 25 ans d’histoire de cette industrie du spectacle à Montréal. Pour lancer mon blogue, il me fait plaisir de vous présenter mon premier dossier consacré à la retraite chez les drag-queens.
Malgré des carrières distinctes pour chacun d’eux, certains éléments se recoupent néanmoins en ce qui attrait aux motivations qui ont menées à leur retraite. Deux se distinguent davantage que les autres. D’un côté, il est question du rythme difficile qu’impose le travail de nuit dans les bars. Ce n’est pas quelque chose dont on se rend compte spontanément. Il y a des étapes pour y arriver. Pascal soulève notamment le négativisme du personnel de bar, tant sur le plancher que sur la scène, face auquel il pouvait être insensible mais qui avec le temps, a fini par peser dans la balance. Pour François, c’est l’amalgame des mauvais côtés qui ont fini par l’épuiser sur le long terme. D’un autre côté, il est surtout question de l’âge. Plusieurs ne se voyaient pas encore faire ce métier rendu à un certain âge. Toutefois, lorsqu’on a fait ça durant une bonne partie de sa vie, il est difficile d’envisager la suite des choses. Il va de soi que cette raison est intimement liée à la précédente, mais relève néanmoins d’autres facteurs sous-jacents dont le désir d’une certaine stabilité. Brian le résume parfaitement: « Je crois que vient le temps de se développer personnellement, s’assurer d’avoir de la sécurité, financière et d’emploi. On veut s’établir. » On peut en comprendre qu’après un certain temps, après avoir donné vie durant plusieurs années à un personnage, son alter ego, il est temps de penser à soi en tant qu’homme.
C’est là que les opinions divergent considérablement. Pour certains, dont Pascal, il est clair que sa vie comme drag-queen appartient au passé alors que pour Jean-Marc et François, le désir d’en refaire est toujours présent. L’industrie a beaucoup changé au fil des ans. Prendre la décision d’y replonger implique de se remettre en question. Certains perçoivent cette situation comme un frein. “C’est inquiétant, on sait pas de quoi on va avoir l’air » souligne Jean-Marc. En ce sens, d’autres défendent le fait que créer un personnage d’une telle envergure est comme mettre un enfant au monde, un moment donné, il n’est plus sous notre protection. Brian emploie les mots justes pour définir ce point de vue: « Quand on crée une personne qui est plus grand que soi, il ne nous appartient plus. Il devient une image populaire dans le subconscient collectif de la communauté gai ici à Montréal. »
Malgré qu’ils aient nourri le « subconscient collectif » du village gai de Montréal avec des personnages forts, pour Steve, il n’était pas question de prioriser Velma à ses dépends en tant qu’homme. Il a soulevé les difficultés que représentaient le fait d’occuper cet emploi lorsque venait le temps de penser à une relation amoureuse stable. Malgré une longue histoire avec un homme durant plus de 10 ans qui vivait très bien avec cela, il est en mesure de constater que ce n’est pas le cas avec tout le monde: « Il y a des gens que ça ne dérangent pas, qui ont fini par faire le deuil en se disant que c’est le métier, le personnage qui gagne. Mais moi, j’aurais pas sacrifié ma vie de gars pour mon personnage. » Il a aussi remarqué que les gens associent le fait d’être drag-queen à une sexualité tordue.
Cette association à une sexualité tordue s’est sans doute propagée avec la venue des hétérosexuels dans au sein du village gai de Montréal. C’est d’ailleurs un phénomène qui a fortement dérangé Pascal. À la suite d’une émission spéciale de Claire Lamarche enregistrée au cabaret L’entre-peau, situé où se trouve actuellement le Cabaret Mado, afin de mieux comprendre la réalité du métier des drag-queens, une masse importante d’hétérosexuels s’est mise à fréquenter le village gai comme s’il s’agissait de quelque chose de tendance. Cette ouverture sur le village ne l’était pas tout à fait. Les drag-queens avaient l’impression de se faire observer comme des bêtes de scènes. Ce phénomène a miné le moral de Pascal lors de se tournant majeur pour la communauté LGBT.
Bref, plusieurs facteurs ont joués pour chacun d’entre eux afin de prendre leur décision. Malgré une volonté réelle de reprendre du service, ils sont tous conscient de l’évolution du métier depuis les dernières années et les difficultés qui y sont associées maintenant. Au bout du compte, la plupart d’entre eux ont continuer d’œuvrer indirectement pour cette industrie, que ce soit comme chorégraphe (Jean-Marc, notamment pour des numéros lors de certaines éditions de Mascara, la nuit des drags et le spectacle de Michel Dorion à la Place des Arts), comme designer (Pascal collabore aux costumes de Miss Butterfly et Rainbow entre autres) ou encore comme drag-queen à temps partiel (Brian avant ses ennuis de santé). Finalement, je crois que tous s’entendent pour dire qu’il important de penser à soi à en tout temps, c’est surtout une façon de s’assurer un avenir qui leur convienne en tant qu’homme.
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