L’art du drag a l’avantage de ne pas être restreint par une limite d’âge. Cet art de la scène attire des gens de tous les horizons, qu’ils décident de commencer très tôt ou à un âge plus avancé. Afin de mieux comprendre les motivations qui poussent une personne à se lancer dans ce métier, je me suis entretenu avec une variété d’artistes, de Demone LaStrange et Néon, qui ont commencé à un jeune âge, jusqu’à Sally-D et Wendy Warhol, qui ont débuté tardivement, en passant par Barbada, qui perdure dans le métier depuis maintenant 15 ans. Ce dossier sert principalement à mettre l’accent sur l’absence de frontières imposées par l’âge, mais surtout de comprendre les raisons pour lesquelles ces personnes ont intégré leur alter ego dans leur vie.
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DÉBUT PRÉCOCE
L’intérêt pour le drag existe dans l’esprit de Démone depuis bien longtemps. En effet, lorsqu’elle était en bas âge, l’un de ses films fétiches était La cage aux folles. Sa mère qui, à l’époque, confectionnait des costumes pour des amis drag, a pris le temps de lui expliquer ce que c’était et ce, malgré le jeune âge de Démone.
Le moment charnière dans la vie de Démone, là où l’idée de devenir drag-queen s’est concrétisée, est lors des célébrations de son 18ème anniversaire au Cabaret Mado. Ce n’est que l’hiver suivant qu’elle se lancera officiellement dans l’aventure en joignant la cohorte de Miss Cocktail au bar le Cocktail.
Démone prétend qu’à cette époque, elle se cherchait encore beaucoup dans l’élaboration de son alter ego. Or, Démone ne s’est pas lancée dans cet univers candidement. Démone traîne depuis sa tendre enfance un lourd bagage, marqué notamment par l’intimidation et la violence. Depuis qu’elle est toute jeune, son personnage se dessinait dans son esprit. Elle a depuis longtemps visualiser ce personnage qu’elle allait un jour endosser. Démone agit aujourd’hui comme un canalisateur de tout ce qu’elle a vécu de difficile. L’art du drag lui a permis de s’émanciper, de se délivrer d’une souffrance passée.
Avant de joindre les rangs de la famille Strange, en se faisant adopter par Rubi Strange, Démone portait le nom de famille LaSlave. Ce nom faisait référence à elle en tant qu’esclave, l’esclave des remarques de ses détracteurs. En optant pour la combinaison Démone, cet avatar qu’elle visualisait, jusqu’à l’idéaliser comme étant celui qui allait la sortir de sa torpeur, et LaSlave, Démone opposait à même son alter ego la souffrance du passé à sa force d’aujourd’hui. Un amalgame qui lui permet d’envisager sa vie actuelle d’un œil nouveau.
Pour Néon, c’est lors de ses recherches dans le cadre de son baccalauréat international à l’École d’éducation internationale de McMasterville que l’appel s’est concrétisé. Comme bien des jeunes de sa génération, l’intégration à l’art du drag s’est faite par l’intermédiaire de RuPaul’s drag race. L’intérêt qu’elle portait pour cette populaire télé-réalité américaine l’a interpellé jusqu’à jalonner son travail final qui portait sur l’expression du genre par l’art.
Elle cherchait avec ce projet à joindre l’utile à l’agréable, c’est-à-dire d’assouvir à la fois sa curiosité sur ce milieu, lui permettant ainsi d’établir les contours de son personnage, tout en réalisant son ultime travail scolaire. Néon a voulu faire œuvre utile en proposant un spectacle qui réunissait pour l’occasion Carmen Sutra, Demone LaStrange, Denim Pussy, Kiara, Matante Alex, Mayhem, Wendy Warhol et Zinc afin de sensibiliser et d’informer le public sur la réalité drag avec des artistes locaux.
Cette initiative s’adressait principalement aux élèves de l’école, donc un public mineur. Ce qui est magnifique dans cette histoire est que les deux représentations ont été présentées à guichet fermé, ce qui témoigne d’une belle ouverture de tous les membres de l’école. Le profil de l’apprenant, défendu par l’EEI, propose notamment l’équilibre, l’audace et l’ouverture, des valeurs qui rejoignent Néon tant sur le plan personnel que professionnel.
Ses premiers pas officiels dans cet univers se sont faits lors du spectacle Tous âges présenté dans le cadre de Fierté Montréal l’été dernier. Plusieurs drags attendaient que Néon soit majeure afin de pouvoir l’embaucher. Celle qui lui aura donné sa première chance est nulle autre Rita Baga dans le cadre de son spectacle hebdomadaire Haus of Baga présenté chaque mardi au Cabaret Mado.
Ce qui est touchant avecce projet scolaire est que Néon s’est principalement basée sur les articles disponibles sur En mode drag. Néon s’est récemment entretenu avec Barbada lors dans le cadre de l’émission Format familial. Je vous invite à visionner l’extrait afin en d’en connaître davantage.
DÉBUT TARDIF
Sally-D a connu un parcours en deux temps. Son intérêt pour le drag coïncidait avec son arrêt de consommation de drogues et d alcool. C’est ce qui l’a mené à l’époque à participer à un concours amateur animé par Gerry Cyr au défunt cabaret L’entre-peau.
La scène s’est révélée pour Sally-D comme une solution afin de compenser l’absence de buzz que lui procurait ses précédentes dépendances. À l’âge vénérable de 50 ans, Sally-D s’est inscrite à Miss Cocktail afin de répondre à son intérêt naissant. Cette initiative lui a permis de sortir de son quotidien, marqué par le fétichisme. L’appel de la scène lui a permis de sortir son fou et d’être créatif autrement.
L’homme derrière Sally-D est présent dans la communauté LGBTQ+ depuis les années 1980s. S’embarquer dans cette aventure s’inscrivait dans la même orientation que ce qu’il connaît et côtoie depuis tous ces années, c’est-à-dire l’aspect social et le contact avec le public.
Depuis ses deux participations à Miss Cocktail, Sally-D s’implique activement dans la communauté drag. En effet, elle a lancé au début du mois de février la soirée C’est juste lundi! – Place à la relève, une soirée réservée exclusivement aux drags qui en sont encore à leur début dans le métier afin de leur offrir une opportunité supplémentaire de performer et de surcroît, parfaire leur animation, puisque le modèle de cette soirée emprunte celui d’une soirée standard du bar le Cocktail.
C’est alors qu’elle était blogueuse que Wendy (Eva Pompidou à cette époque) s’est initiée à l’univers du drag, plus précisément lors de la soirée d’ouverture du festival St-Ambroise Fringe de Montréal lors de laquelle elle y a découvert la House of Laureen.
Rapidement, la House of Laureen l’a invitée à faire une performance dans le cadre de l’un de ses spectacles. Wendy est demeurée quelques mois sous les traits d’Èva à sortir voir des représentations de la House of Laureen.
Après un certain temps, par manque de référence en tant que femme drag, Wendy a transféré ses activités comme drag-king. Justin Tinderfake, le premier nom que son alter ego masculin portait, existait déjà auprès de la House of Laureen avant qu’il ne fasse ses preuves lors de la toute première édition de MX Fierté Canada. La suite des choses a déboulé trop rapidement avec un personnage en qui elle ne se reconnaissait pas en tant qu’artiste.
C’est à force de côtoyer d’autres femmes drag-queens telles que Daisy Wood, Miss Daniels Vyxen et Velma Jones que Wendy a revu son plan de match. Phoenix Vyxen s’est avérée d’une grande aide dans sa réflexion. Il n’en demeure pas moins qu’une certaine dualité subsistait dans son esprit puisqu’elle était consciente du succès que connaissant Justin et elle ne voulait pas à devoir tout recommencer et perdre ses acquisitions des mois précédents.
Wendy s’est rapidement raisonnée. Elle s’est rappelée ne s’être jamais réprimée en raison de son genre ou de son âge. Dans la même période de sa vie, Wendy s’est réorientée tant sur le plan professionnel qu’artistique. Elle est d’avis que l’âge ne doit pas être un facteur et qu’on peut continuer de se prouver même lorsqu’on a plus de 40 ans. Malgré son âge, elle conserve le même émerveillement qu’elle avait dans ses débuts. Elle partage également l’idée selon laquelle le fait de se tenir avec des gens plus jeunes garde jeune. Et la relève dans ce métier étant en continuelle mouvance, côtoyer des plus jeunes que soi n’est assurément pas un problème.
En ce temps de quarantaine, Wendy vous propose des performances chaque jeudi, en direct sur Youtube, Suivez-là sur Facebook et sur Instagram pour en savoir davantage.
PERDURER DANS LE TEMPS
Barbada célèbre cette année ses 15 ans de carrière. C’est à l’hiver 2005 que Barbada prenait part pour la première fois au concours Star search au Cabaret Mado. Depuis, sa carrière défile comme un vrai feu roulant.
Ce qui distingue considérablement Barbada de ses collègues est son ouverture. Elle essaie de ne pas dire non car elle ne sait pas ce que cette occasion peut lui apporter comme éventuelle opportunité. Elle se laisse surprendre par l’enchaînement des différents projets.
Par exemple, lors d’un mariage, Barbada y a fait la rencontre du célèbre Robert Lepage. La sœur de l’artiste multidisciplinaire, Linda, a bien aimé Barbada, alors elle l’a conviée au 60ème anniversaire de Robert Lepage. Convaincue de ce que Barbada pouvait offrir, la même Linda, qui siège au conseil d’administration des Grands deux Loto-Québec, a réussi à obtenir pour Barbada ce qui sera dans sa carrière son plus important et lucratif contrat au sein de cette organisation.
Comme Barbada le dit si bien, on ne sait jamais qui peut être là où on ne s’y attend pas. Cela a été une belle façon pour elle de poursuivre sa carrière, de perdurer dans le temps et surtout, de sa faire une réputation hors du village gai de Montréal.
Qu’importe le moment où l’on commence le métier de drag, il ne faut jamais oublier pour quelle raison on le fait. Chaque individu y trouve ses propres réponses car chaque parcours est unique. Autant nous souhaitons la longévité d’un artiste que nous apprécions, il faut savoir respecter le moment où celui-ci préfère se retirer Dans le même optique, il faut accueillir les personnes de tous les horizons pour intégrer cet art de la scène car on ne sait pas à quel moment l’appel va nous venir et ce que celle-ci vient y chercher. C’est ce qui définit la pléiade de styles auquel nous avons droit dans notre Belle Province.
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